La goutte

par Spouwny

publié dans Textes

    Elle était assoupie. Sa chevelure brune descendait en cascade sur mon épaule, laissant échapper leur douce odeur jusqu'à mes narines. Elle s'était faite belle. Elle s'était faite douce. Elle s'était faite parfumée. Et sa tête reposait sur mon épaule. De mon mieux je tentais d'amortir les cahots du voyage, mais de temps en temps un doux grognement me rappelait mon incompétence. Alors je passais ma main dans ces cheveux qui me chatouillaient l'oreille, si légers.

    Je ne me lassais pas de la regarder, mais parfois je levais les yeux vers la vitre. Le paysage y défilait, flou. Des champs, des arbres, des maisons se succédaient, sortes de taches de peinture jetées en travers de la plaque de verre. Seul le ciel semblait épargné par ce tourbillon de couleur. Il restait fidèle, immuable, malgré les tunnels, trous noirs m'arrachant à mes rêveries.

    Le temps passait, mon attention revenant perpétuellement à la petite chose coller contre moi. Je l'aimais. Chacun de ses gestes, chacun de ses mots, chacun de ses soupirs m'enivraient, me comblaient. Il suffisait que je la regarde pour sentir ce sentiment si grisant que l'on nomme bonheur, presque palpable. Non, bien réel, je le caressais en ce moment même. Ma tendre, pour rien au monde je ne te quitterais.

    Une nouvelle secousse se fit sentir. <<Hum, arrêtes de bouger...>>, entendis-je. Un sourire bête se dessina sur mes lèvres. Encore une secousse, je ne pu empêcher sa tête de rebondir sur mon épaule. Un ange se réveilla. Si jolie avec ses yeux à moitiés clos et ses cheveux en pagailles que j'en oubliai mon sourire.
<<T'as l'air d'un idiot.
-Et toi d'un chou-fleur>>

    Elle voulu me frapper mais une secousse la projeta sur le siège d'en face. Un sac me tomba sur la tête. Le train tremblait de toutes parts. Un hurlement de métal me déchira les tympans. Où est-elle? Je fus projeté contre la vitre. Des sacs, des bibelots me dégringolaient dessus. Un tourbillon infernal dont je ne parvenais pas à me dégager. Un peu d'équilibre, pas suffisamment, je ne pu me redresser. Je vis sa main. Je fus projeté en arrière. Je m'agrippai où je
pouvais. Puis le calme.

    Je reste immobile. Je redoute de bouger. Un crépitement se fait entendre au loin. Je n'entends rien d'autre. Où est-elle? Je frémis. Je suis vivant. Je me sors de sous un siège arraché de son socle. J'ai chaud. J'avance un peu. Mes pieds s'enfoncent dans une terre labourée jonchée de débris de verre. Je me retiens à un fauteuil encore en place. Il est à l'horizontale. Le train est
couché sur le coté. Mais où est-elle?

    Je suffoque. Une épaisse fumée commence à se répendre. Elle est là! La terre la recouvre à moitié. Je commence à la dégager. Du sang!

    Pompier, ambulancier, policier se succèdent, sortes de taches de peinture à mes yeux embués. Je ne vois rien, n'entends rien. Je tiens dans mes mains un tube d'acier tordu. Une goutte de sang en tombe sur mes chaussures boueuses.
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S
je vais me répeter...
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S
Moment très fort... je vois le film se dérouler sous mes yeux...<br /> <br /> Et d'abord, il n'est pas con mon lapin !! Nah !
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